Emily Bondi, en piste pour le premier Championnat du monde féminin de moto un mois après sa cheville cassée !

L’histoire de la moto féminine est en marche. Une vingtaine de pionnières ont fait rugir les moteurs à Misano, pour la première manche du Championnat du monde FIM (Fédération internationale de motocyclisme) de moto féminin. Parmi elles, deux françaises, Ornella Ongaro et Emily Bondi. Cette dernière, pilote des Zelos Classic 21 Black Knights, est revenue pour Women Sports sur son parcours atypique et un début de championnat marqué par une vilaine blessure. PAR RUBEN DIAS. Extrait du WOMEN SPORTS N°34.

WOMEN SPORTS : EMILY, POUVEZ- VOUS NOUS PARLER DE VOS DÉBUTS EN MOTO ?

EMILY BONDI : Depuis toute petite, je montais derrière mes parents. J’étais tellement petite que ma mère me mettait devant elle sur le réservoir. Mais c’est après avoir passé mon permis moto que j’ai vraiment accroché. Philippe Monneret, un ancien pilote, m’a invitée un jour sur la piste pour me remercier d’avoir fait la promotion de sa moto-école. Honnêtement, j’y suis allée par politesse. Une fois sur la piste, je n’ai plus lâché.

ET LA COMPÉTITION EST ARRIVÉE DANS LA FOULÉE ?

C’était un saut très rapide. En avril 2023, je me suis inscrite au Championnat de France féminin de vitesse. C’est mon copain, un ancien champion de cross, qui m’a encouragée à m’inscrire.

Moi, je ne savais même pas qu’il existait ce genre de compétitions féminines ! Pour ma première course, malgré un départ difficile, j’ai fini troisième. Je me suis dit ‘Il y a peut-être un truc à faire’ (rires). Cela m’a donné la motivation de m’entraîner sérieusement, et le reste a suivi : plusieurs victoires, et finalement, le titre de championne de France. Dès ma première année.

VOTRE ASCENSION EST PRESQUE UN CONTE DE FÉES. COMMENT VOUS EXPLIQUEZ UNE TELLE FACILITÉ ?

(Rires) J’ai toujours fait du sport à haut niveau. Avant la moto, j’ai été championne de France de horseball, j’ai participé aux Championnats de jet-ski, de natation, de basket… Le sport de compétition, c’est quelque chose que je connais bien. Quand je me suis mise à la moto, j’ai simplement appliqué ce que j’avais appris ailleurs : discipline, entraînement et détermination.

LE HORSEBALL, LE JET-SKI ET MAINTENANT LA MOTO, IL Y A UN CERTAIN FIL CONDUCTEUR…

Tout à fait ! Ces sports m’ont appris à comprendre le lien entre soi et l’élément qu’on contrôle, qu’il s’agisse d’un cheval, d’un jet-ski ou d’une moto. Arriver dans le milieu de la moto, c’était nouveau pour moi, mais j’ai rapidement retrouvé cette connexion. Et évidemment la notion d’équilibre est très importante aussi.

MALGRÉ UN DÉBUT EN BOULET DE CANON, AVEZ-VOUS RENCONTRÉ DES OBSTACLES ?

Rien n’est aussi simple qu’il n’y paraît. La moto est un sport extrêmement coûteux, et trouver les moyens financiers pour continuer à rouler a été un vrai défi. À 21 ans, j’ai dû me battre pour trouver des sponsors. J’ai cherché à convaincre des marques en leur montrant l’intérêt de sponsoriser une sportive qui est aus- si présente sur les réseaux sociaux. J’ai réussi à obtenir des aides, mais c’était énormément de stress.

Sur un plan mental, la montée rapide en notoriété a ses revers. On attire aussi des critiques et des jalousies. Il faut être mentalement solide pour supporter ça. Puis il a aussi des chutes. Je me rappelle particulièrement de celle juste avant la finale du Championnat de France, qui a failli tout compromettre…

VOUS ÊTES AUJOURD’HUI ENGAGÉE DANS LE PREMIER CHAMPIONNAT DU MONDE FÉMININ DE MOTO…

Ma victoire au Championnat de France et cette montée très rapide a attiré l’œil. J’ai posé ma candidature avec mon management qui est donc Zelos (manager et le plus gros sponsor d’Emily ndlr.), auprès de Dorna Sports, promoteur du MotoGP. Pour moi, ce n’était pas imaginable. Quelques mois avant, je ne sa- vais même pas qu’une fille pouvait rouler à moto (rires). Finalement cela m’a encore souri.

C’EST UN CHAMPIONNAT TRÈS RELEVÉ ?

Toutes les filles étaient dans les plus gros championnats. Ana Carrasco, est championne du monde chez les hommes, en 300 cm3. Il y a aussi María Herrera, une pilote en MotoGP dans la catégorie électrique… et ce n’est pas dernière. On a la quadruple championne d’Europe, féminine. Bref, il y a du très haut niveau devant, ça roule très vite. Aujourd’hui, les premières places, ne sont pas atteignables pour moi. Ce serait bizarre. Ça ne fait qu’un an que je roule. Je pense que celle qui a le moins d’années d’expérience après moi, en a quand-même six.

LES DÉBUTS ONT ÉTÉ COMPLIQUÉS ?

Aux entraînements, à vouloir trop en faire pour être prête, je me suis cassée la cheville gauche. C’était un mois avant le début du championnat. Cela a été une vraie épreuve. Je ne pouvais évidemment plus marcher, et aucun chirurgien ne voulait m’opérer. Tous jugeaient cela trop risqué, ils me disaient :’peut-être que tu ne marcheras plus jamais’. Je devais passer quatre mois dans le plâtre, je n’allais pas pouvoir participer de toute l’année, c’était terminé. Sauf que pour moi ce n’était juste pas possible. J’ai finalement trouvé un chirurgien qui accepté de faire l’intervention. Puis c’était parti pour une longue péripétie de rééducation.

UN FAUX DÉPART…

La blessure m’a mise hors jeu. Je n’ai pas pu participer aux pré-tests. Quand les autres filles ont découvert leur R7 (motos identiques pour toutes les participantes, ndlr.) et les ont essayées, moi j’étais à l’hôpital en train de regarder le plafond… On a bataillé jusqu’au bout, parce qu’au début du championnat, j’étais encore en béquilles. Je n’avais pas encore l’autorisation de marcher car c’était encore trop fragile. À la première course, je suis montée sur la moto en béquilles. Je n’avais pas le droit pour la télé, mais c’était tout pareil. On m’a portée, on m’a mise sur la moto et c’était parti.

Il y a eu plein de circonstances et de faits de course. J’ai tout de même fini 15e sur les 26 filles présentes. La deuxième course du week-end, j’ai dû l’abandonner à cause de la douleur. C’était la première fois, mais je n’arrivais pas à tenir.


QUELLES SONT VOS AMBITIONS ?

À moyen/long terme, j’espère pouvoir rattraper ce wagon et les années perdues. Je me laisse cette première année pour apprendre des meilleures. J’espère me rapprocher le plus souvent possible du top 10 quand-même (rires).

PENSEZ-VOUS QUE, DANS LES ANNÉES À VENIR, IL Y AURA DES FEMMES EN MOTOGP ?

On tend de plus en plus vers ça. Certaines filles devant pourraient trouver leur place. Il faut préciser quelque chose qui n’est pas dans les mœurs : La Moto-GP n’est pas un championnat masculin, c’est mixte. C’est important aujourd’hui aussi de passer un message à toutes ces filles : le sport n’a pas de genre. Il faut croire en ses rêves, travailler dur pour les réaliser. Rien n’est impossible si on est déterminé et prêt à se donner à 100 %. J’espère sincèrement que mon parcours très atypique, car je n’ai pas participé à des championnats jeunes, ni fait du karting etc, puisse en inspirer plus d’une. J’aimerais un jour retrouver ces filles qui vont lire le magazine, avec moi sur la piste. Que ce soit en compétition, en entraînements, ou juste pour le plaisir et la passion de la moto. Si j’entends un jour qu’une fille s’est mise à la moto grâce à moi, mon plus grand goal sera réalisé !