Enquête : Les Jeux Olympiques c’est bien, mais après ?

Les Jeux Olympiques représentent le Graal. Pour ceux qui auront la chance d’en faire partie, être sélectionné peut représenter déjà beaucoup. Seulement voilà, une fois qu’on atteint son rêve de participer aux JO, que fait-on derrière ? Répondre à cette question peut amener un vide abyssal. On a interrogé les principales intéressées mais aussi côté staff. Sourire toute ! Par Léa Borie, Extrait de Women Sports magazine n°32 avril-mai-juin 2024 spécial Paris 2024 dernière ligne droite

Ça va mal : un état des lieux qui pousse à s’en préoccuper

Ils sont nombreux à témoigner – majoritai­rement des hommes dans les médias – de leur déprime post-olympique : le skieur Nick Goepper et ses envies de suicide post mé­daille de bronze aux JO de 2014, Michael Phelps, athlète olympique le plus décoré ayant subi une grave dépression, plus ré­cemment Nina Christen également dans ce vertige suite à ses médailles aux Jeux de Tokyo. Dans un documentaire diffusé en octobre dernier, Strong, Camille Lacourt (natation), Ysaora Thibus (escrime), Valen­tin Porte (handball) et Perrine Laffont (ski de bosses) évoquent leur démotivation et leur moment de dépression. Cette dernière raconte avoir surmonté ce mal-être, suite aux JO de 2018 en Corée du Sud, notam­ment grâce au soutien de sa préparatrice mentale, Cécilia Delage, qui a su trouver les ressorts pour qu’elle remonte à skis.

Les chiffres ne trompent pas, 24 % des spor­tifs britanniques ayant participé aux Olym­piades déclarent ressentir une détresse psychologique élevée ou très élevée après les Jeux selon une étude réalisée en 2021 publiée dans le British Journal of Sport me­decine. On parle ici de troubles du sommeil, d’une perte de repères, d’un sentiment de tristesse déroutant après tant de joie, d’une sensation d’« être mis dans une machine à laver » comme l’exprimait en octobre 2021 à Ouest-France la handballeuse Allison Pi­neau. Il y a aussi une nécessaire réadap­tation à un autre rythme de vie, comme en témoigne Hélène Defrance, ex athlète de voile olympique, médaille de bronze à Rio en 2016 : « Arrêter d’aller à l’entraînement 10 h par jour, découvrir un monde profes­sionnel si les Jeux signent la fin de sa car­rière sportive… c’est surtout ça qui n’est pas facile et demande de s’adapter d’un coup ».

Ce qu’il se passe dans la tête d’un athlète

Ça grimpe et ça dégringole… La perte progressive du statut de célébrité, la magie du moment vécu qui s’estompe, la vie normale qui reprend sans une routine sportive drastique… ces changements pro­voquent ce que Meriem Salmi, psychologue anciennement à l’Insep, avait appelé le « post-blues olympique » dans les tribunes de Ouest-France en septembre 2021, des « épisodes dépressifs contextuels liés à un évènement », et pas une profonde dépres­sion. Or, avant tout ça, le sportif n’y pense pas, tellement il est obnubilé par sa quête. Alors qu’il arrive à peine au sommet de cette montagne qu’il a mis des années, voire une vie, à grimper, l’athlète fait face à de nou­veaux horizons, ce qui a de quoi démunir.

« Quand vous participez aux Jeux, c’est l’eu­phorie, mais forcément, à un moment, elle retombe. Comme pour revenir de vacances idylliques, c’est le retour à la réalité avec un coup de déprime. C’est normal car après les émotions les plus fortes, la suite est plus délicate. Mais cette déception s’anticipe », pose Anaëlle Malherbe, psychologue et préparatrice mentale auprès d’équipes de France (escrime, aviron, boxe, paracanoë…) au sein du pôle performance de l’Insep.

Anticiper l’après avant

Bonjour psycho, ciao tableaux… « Ça ne s’évite pas, ça s’anticipe, précise la psychologue clinicienne Anaëlle Malherbe en détaillant sa stratégie d’accompagne­ment. En début d’année, nous avons déjà réalisé des 1ers ateliers en petit groupe avec des athlètes de différents sports pour évo­quer l’après-JO. En amont, il faut déjà que l’athlète soit clair sur son ‘‘pourquoi’’. Ce n’est pas juste ‘‘faire les JO parce que j’ai toujours rêvé d’être champion ou cham­pionne’’, c’est plus profond que ça. Une fois qu’on est allé à la découverte de cette symbolique derrière la recherche de perfor­mance, cela permettra de mieux vivre les Jeux, d’être aligné par rapport à sa motiva­tion intrinsèque. »

Il ne faut pas se tromper de combat : on parle ici plus de psycholo­gie que de préparation mentale pure sur la performance, « pas sur le psychologique et l’inconscient mais bien sur la connaissance de soi, en lien avec son environnement. Car quand on connaît mieux son environ­nement, on sait mieux s’adapter », détaille l’experte de l’Insep.

Pour bien connaître son athlète, l’accom­pagnant intervient dans tous les champs de vie possibles, comme l’explique Cécilia Delage, psychologue clinicienne et psycho­logue du sport. Elle est demandée par des athlètes de sports d’hiver notamment (ski de bosses aux côtés de Perrine Laffont, biath­lon, ski freestyle) mais aussi en plongeon.

« En tant que psychologue, on s’at­tache à ce que l’athlète soit bien sur l’aspect sportif mais aussi humain. On met de l’équi­libre pour qu’il se sente bien et qu’il puisse aller chercher ses performances ». Pour ça, Cécilia travaille longtemps en amont. « J’an­ticipe souvent entre deux et trois ans avant l’échéance des Jeux. Souvent la dernière année, on est focus sur la préparation ».

Il faut dire que, pour certains, les JO condi­tionnent leur vie d’après. Les experts à leurs côtés doivent composer avec ça. « S’ils n’ont pas un minimum anticipé, ils risquent de se retrouver face à un vide. Ça ne veut pas dire qu’on va figer les choses, mais on réfléchit aux chemins possibles. On s’adapte nous aussi aux objectifs que l’athlète s’est fixé. Car le niveau d’implication, l’intensité et donc l’impact psychologique ne seront pas les mêmes si c’est la dernière fois qu’il peut participer aux Jeux, s’il veut chercher à tout prix une médaille ou s’il veut faire le meil­leur résultat possible en faisant d’autres olympiades derrière. Néanmoins, quel que soit l’objectif, il y a quasi systématiquement un phénomène de ‘‘blues olympique’’. »

Accepter la normale redescente

Les experts le savent bien, ce temps difficile est presque incontournable. C’est un évè­nement quadriennal, ça crée de l’attente, explique la psychologue Cécilia Delage : « L’athlète se prépare comme un fou du­rant quatre ans avec l’espoir de réussir, et quelques mois après, c’est l’épuisement, le relâchement. Quand il n’a pas de mé­daille, l’effondrement arrive parfois plus vite. La sollicitation des médias et du pu­blic s’arrête nette. Les questions tournent en boucle dans son esprit et un temps de deuil doit se faire avant de pouvoir repen­ser à la suite. Mais cette période – dont la durée d’un mois, trois mois, un an ou plus varie selon chacun – , est essentiel pour rebondir, assimiler, mieux comprendre. C’est le temps adaptatif. »

Pour ce faire, Cé­cilia Delage observe le temps de « deuil » nécessaire à chaque athlète. « Certains veulent en parler tout de suite, d’autres ont besoin de recul pour comprendre ce qu’ils vivent. Je me charge de rester vigi­lante sur leur santé mentale durant les semaines qui suivent avant d’intervenir ».

L’erreur fatale 1 : rester buté borné

« L’erreur chez un athlète peut être de se li­miter à la facette d’athlète de haut niveau, en oubliant tout l’équilibre autour – vie so­ciale, familiale… Si vous vous êtes construit par rapport à une médaille et que vous ne l’avez pas, si vous avez mis tous vos oeufs dans le même panier, le risque est de s’identifier à son résultat. C’est pourquoi on travaille sur les différentes identités, de sportif, mais aussi de femme, de compagne de… », détaille Anaëlle Malherbe.

Cela est d’autant plus difficile dans les sports très médiatisés, d’après Meriem Salmi, toujours pour Ouest France, où toute la vie du sportif est tournée vers ça, notam­ment dans le football ou le tennis. Ce déclic arrivera souvent plus facilement chez les sportifs dont le sport impose déjà de travail­ler à côté par exemple : « Ces sportifs-là sont plus présents dans le tissu social classique. Ils disposent d’un ensemble de ressources qui rendent le rapport au succès moins violent », a-t-elle déclaré au journaliste Clé­ment Commolet.

C’est plus facile quand on anticipe, long­temps à l’avance. Ce qu’a fait Hélène De­france, puisque plusieurs années avant ses derniers JO en 2016, elle s’était formée à la diététique sportive : « En 2013 déjà, je com­mençais à travailler. Je savais que la prépa­ration de Rio signerait probablement la fin de ma carrière. En plus j’ai été médaillée, c’était pour moi l’aboutissement de ma car­rière et m’a permis de passer à autre chose ».

L’après concret : maintenant, quoi ?

Pour éviter une rupture trop brutale, Anaëlle Malherbe tâche d’opérer une continuité entre la fin des Jeux et l’après. Elle reste disponible quoi que l’athlète décide. Mais avant ça, la psy préconise une période in­contournable de repos post-JO, même pour ceux qui feront le choix d’arrêter définitive­ment. Perrine Laffont a déclaré faire une pause et avoir besoin de « fraîcheur » pour se préparer aux Championnats du monde de 2025 et aux JO de 2026. C’est rare de voir un sportif l’admettre, et ça paraît sain.

« La vie d’un athlète tourne autour de sa casquette de sportif, déplore Cécilia De­lage qui suit notamment la skieuse. Il faut être en capacité de se recentrer sur soi, de pouvoir vivre autre chose qu’à travers le sport uniquement. C’est salutaire pour faire à nouveau émerger l’envie, le désir de re­chausser ses skis, ces sensations simples de sentir la puissance de la balle qui frappe sa raquette… sans les obligations de réus­site, juste les sensations. »

C’est d’ailleurs ce manque de repos dont avait souffert Émilie Andéol, lorsqu’elle est devenue championne olympique de judo. Elle avait déclaré avoir dû reprendre rapi­dement, ce qui était contraire à son souhait de s’accorder six mois de repos, comme elle l’a raconté à Alain Goujon en juillet 2021 dans les colonnes de Sud-Ouest : « Je me suis rendu compte que je n’étais plus Émi­lie Andéol mais juste la championne olym­pique. C’était un manque de respect ».

C’est pourquoi elle décide plus tard de couper du­rant un an pour revenir au judo plaisir et se rapprocher de sa famille. C’est ainsi que le staff qui entoure les athlètes s’efforce à leur rappeler que non, récupérer n’est pas une perte de temps, loin de là.

Chose qu’aurait aimé faire aussi Hélène Defrance : « J’aurais adoré être accompagnée par quelqu’un qui m’aurait prévenu en amont : ‘‘Tu passes une vraie transition de ta vie. Ça fait 20 ans que tu te prépares pour ton sport et mainte­nant tu vas entamer ta carrière pro’’. Je ne me suis pas reposée après les Jeux. J’ai tout de suite voulu travailler. Je n’ai pas déprimé car j’étais déjà mobilisée par mon projet pro, mais j’étais épuisée. Médaillée en août, je déménageais en octobre pour une propo­sition de travail. Je n’avais aucune notion de comment mener ma carrière pro. J’ai perdu du temps, de l’énergie. Si c’était à refaire, je me poserais un an, réfléchirais à comment construire la suite. J’aurais dû ralentir. »

Le temps de l’analyse : la faute à la société

« Les notes à l’école, les résultats en entreprise… nous sommes dans une société qui focalise sur la performance, ce qui génère de la souffrance. En haut niveau, cette perception est poussée quelques crans au-dessus. Or, vous iden­tifier à votre résultat vous coupe de vous-même », analyse Anaëlle Malherbe. L’ex­perte a connu ceux qui, après Tokyo, ont eu un bébé, sont devenus entraîneurs, ou ont fait d’autres projets car ils ont pu rebondir. Pour ça, ils ont mis en pratique leurs qualités d’athlètes de haut niveau d’après elle.

C’est aussi ça un bon sportif, celui qui ap­prend à rebondir ? « Dans le métier, il n’y a pas que des victoires. Certaines compé­titions sont assimilées à des échecs pour le sportif. Le sport, qui plus est d’élite, vous apprend à rebondir vite, vous êtes obligé de trouver des ressources pour avancer, pour apprendre à mieux revenir, précise Cécilia Delage. Cet apprentissage se fait tout au long de la carrière du spor­tif. On le rencontre à tous niveaux, c’est pourquoi le sport est porteur de valeurs, ce qui est décuplé quand on le travaille intensément ».

Lynda Medjaheri, volleyeuse pressentie aux Jeux Paralymiques

« J’ai grandi avec le volley assis, j’y resterai ! »

La volleyeuse Lynda Medjaheri fait partie des présélectionnées aux Jeux Paralympiques de Paris pour le volley assis. Elle qui n’a « jamais été très sportive de base mais a toujours bougé » a découvert la discipline à la trentaine bien entamée, en 2019, un an après son amputation de la jambe gauche. Alors pour elle, aucune appréhension de l’après JO. S’ils se confirment : c’est que du bonus !

« J’ai réalisé ce qu’il se passait lorsqu’on est entré en équipe de France. ‘‘Oh réveille-toi, c’est toi qui va y aller, il n’y a personne au-dessus !’’ ; ça procure un gros caillou dans le ventre. Mais ça va être kiffant, exceptionnel, grandiose. La compétition et ce qui se passera autour sera énorme, même si je reste les pieds sur terre.

Surtout, je souhaite que ce moment participe à faire connaître davantage le volley assis. Non ! ce n’est pas du volley en fauteuil ! C’est mixte, on a besoin de rien, c’est tellement inclusif ! Je n’ai pas peur de la redescente derrière car je n’ai pas changé depuis mon accident (en 2014, suite à un accident de moto, Lynda perd l’usage de sa jambe gauche, NDLR), je suis une battante.

Quand on me dit ‘‘Tu ne feras pas’’, je pense tout le contraire. Puis on n’a pas le même caractère à notre âge. À 40 ans, on a eu nos accidents, notre famille. Quelque part, j’ai changé aussi : je suis persuadée qu’on peut toujours se dépasser physiquement, même si on n’a plus 20 ans !

Après les Jeux, j’aurai plus de temps : je veux entraîner les gens, pousser les personnes handicapées à sortir de chez elles, à ne pas se cacher derrière leur handicap ! Quoi qu’il arrive, où que ce soit, je continuerai le volley assis, le plus longtemps possible. Ici, c’est un bout de ma famille. »